Hideki Kamiya, le papa du démoniaque
Dante, du cinéphile Joe et de l'écologiste Amaterasu, revient sur le devant de la scène du beat'em all avec la
sulfureuse Bayonetta. L'un des fondateurs du nouveau studio Platinum Games (qui
nous a déjà gratifié début 2009 du déjanté et sanguinolent Mad World) nous
montre une fois de plus sa maitrise du gameplay propre à ce genre, et l'amour
qu'il porte aux jeux vidéos, aux gamers et à la création en général avec cette
œuvre pleine de personnalité, de caractère, d'hommages, de générosité et de...
plaisir.

Le monde se divise en deux catégories:
les sages de Lumen et les sorcières de l'Umbra, les premiers étant dotés des
pouvoirs de la lumière et les secondes de ceux des ténèbres. Tout ce beau monde
se respecte à distance dans la diplomatie la plus stricte, jusqu'à ce qu'une
histoire de fricotage interdite entre deux membres des castes vienne troubler
cet équilibre. La chasse aux sorcières est alors ouverte, les humains manipulés
par les sages de Lumen se donnant à cœur joie d'anéantir ces hérétiques. 500
ans plus tard, Bayonetta, lunettes de secrétaire sur le nez et combinaison de
latex échancrée faisant la part belle à ses mensurations parfaites, et
accessoirement dernier espoir de l'Umbra, se réveille au fin fond d'un lac.
Légèrement amnésique, la belle sait au moins une chose: elle doit mettre une
raclée aux anges qui viennent lui chercher des noises. Accompagnée de
personnages hauts en couleur, tout aussi délirants, attachants et mystérieux
les uns que les autres, elle en apprendra plus sur son passé et sa mission au
fur et à mesure de l'aventure, grâce aux notes d'Antonio disposées ça et là sur
le chemin, et en même temps que le joueur qui nouera ainsi avec elle une
relation toute particulière. Un scénario un peu tiré par les cheveux (que
Bayonetta a d'ailleurs longs et dangereux) qui n'est que prétexte à poser les
bases d'un univers gothique, violent, et en même temps délirant et ironique.

Un gameplay tout aussi souple que son
héroïne

Kamiya l'a confié à Nicolas Gavet dans
l'interview publiée dans IG Magazine #6, son but était de donner « aux
joueurs des combats élégants »,
et « seul un personnage
féminin dispose de mouvements agiles et peut se battre de manière très
sexy »
. Une chose est claire quand on joue à Bayonetta: elle sait
mettre ses atouts et ses charmes en valeur. Elle a du style et donne à ses
combats l'aspect de chorégraphies parfaitement maitrisées. Quand d'autres
sorcières utilisent le bout de leur nez pour jeter des sorts, Bayonetta se
déhanche, fait des ronds de jambes et prend la pose pour mettre une raclée à
ses adversaires. Dotée de guns vissés à ses chaussures, et d'armes diverses
telles que le sabre ou les griffes, le ballet sanglant qu'elle perpètre sur les
anges lui barrant la route est dynamique, violent et orchestré avec maestria.
Le tout grâce à un framerate maitrisé qui permet de ne jamais ralentir l'action
et de ne pas avoir l'impression de se perdre dans ces grandes batailles qui
vous opposeront aux hordes angéliques. Le tout sur fond de Fly me to the
moon
ou Mysterious Destiny chantés par la belle Helena Noguerra,
sœur cadette de Lio, ça plante le décor et le parti pris artistique du jeu.
Tout ce cocktail peut ressembler à une blague de mauvais goût, on a plutôt
envie de crier au génie, au second degré et à la patte artistique.

A l'instar des grands jeux de combat,
Bayonetta propose un gameplay aux bases simples, mais aux possibilités immenses
et à la marge de progression encourageante. Avec seulement deux boutons (triangle
est associé à l'arme de poing et rond aux coups de pied), vous pourrez créer
une multitude de combos, les uns se distinguant des autres par le timing (en
marquant un léger temps d'arrêt entre deux phases), la pression exercée sur le
bouton ou l'arme utilisée (que l'on peut interchanger en cours de combo). De
plus, cette profondeur est sublimée par l'esquive, élément clé du gameplay.
Lorsqu'elle est exécutée avec le bon timing en appuyant sur R2, l'action se
fige pour donner place au Witch Time, courte période pendant laquelle
Bayonetta a toute latitude pour placer ses attaques. Et cerise sur le gâteau,
elle est utilisable pendant l'exécution d'un combo que l'on pourra reprendre
une fois le coup adverse esquivé, si on a pensé à garder appuyée la touche du
coup précédent!

Tout cet arsenal se voit agrémenté
d'attaques spéciales disponibles lorsque la jauge de magie est pleine, le plus
généralement accessibles via un QTE demandant la pression simultanée de
triangle et rond. Bayonetta envoie alors au supplice son adversaire (guillotine
ou fléau), dans une séquence où l'on devra marteler au plus vite la touche
carré pour des dégâts croissants. On retrouve également ces phases pour achever
les boss, gigantesques au demeurant quoique un peu redondants au cours de
l'aventure, Bayonetta faisant appel à sa chevelure (vous en dévoilant ainsi un
peu plus sur son anatomie) et à des monstres pour des finish grandioses.
Certains de ces QTE sont parfois trop stricts, induisant un Game Overinstantané. Inconvénient d'autant plus malheureux que les temps de chargement
sont plutôt longs (un patch récent a cependant permis d'atténuer ce
désagrément). Heureusement, ces moments seront l'occasion de répéter vos combos
et les check-points sont très fréquents (parfois même au sein d'un long
affrontement) et ne rendent jamais les défaites trop frustrantes. Pour prendre
la pleine mesure du jeu et du challenge qu'il propose, nous vous conseillons de
le commencer directement dans le mode de difficulté Normal, et de le refaire
dans un second temps en Difficile, disponible seulement après une partie
terminée. Enfin, si le bestiaire se révèle d'une bonne qualité graphique, avec
un joli compromis entre effets de flou et de brillance comme savent le donner
les consoles HD, il est aussi assez pauvre et a du mal à se renouveler.  

Des références, des récompenses et une
ambiance unique

Après chaque victoire, un certain
nombre de points vous est attribué, chaque objet de soutien utilisé ou chaque
dégât encaissé venant apporter un malus, et chaque combo bien orchestré
augmentant votre total. Une statue vous est offerte en récompense, la
préciosité de son métal dépendant de votre performance. Ajouté aux nombreux
objets, accessoires et techniques disponibles chez votre fournisseur Rodin des
Portes de l'Enfer (qui n'hésitera pas à se plier en quatre pour vous dénicher
le meilleur matos possible), et dont le prix pourra paraître prohibitif, ce
système de classement laisse la porte ouverte à une grande replay-value.
Bayonetta renoue avec la tradition des jeux à points, où la performance est
récompensée. Entre deux chapitres (au nombre de 16, épilogue et prologue
exceptés, pour une durée de vie située entre 10 et 15 heures), vous aurez aussi
l'occasion, par le biais d'un jeu de tir digne d'une kermesse, de glaner
quelques objets ou anneaux (monnaie disséminée ici et là et faisant référence à
Sonic) qui vous seront très précieux; on pense notamment aux cœurs de sorcière
ou aux sucettes qui rempliront vos jauges de vie ou de magie.

En-dehors des combats, la progression
est globalement linéaire, seulement perturbée par quelques énigmes qui feront
appel à votre vitesse principalement. Le reste du temps, il vous faudra
collecter anneaux, larmes de Sang de l'Umbra et fragments de pierre lunaire et
de cœur de sorcière qui viendront augmenter la vitalité de la belle sorcière,
sans oublier les ingrédients élémentaires qui vous permettront de synthétiser
vous-même vos objets de soutien. Bayonetta dispose aussi de pouvoirs de
transformation lui permettant de se changer par exemple en papillon pour
effectuer des doubles sauts, ou en panthère pour dévaler plus rapidement devant
le danger. Le cheminement se fait dans une ambiance très particulière, les
musiques vous plongeant tantôt dans un univers mystique avec des chœurs, tantôt
dans une ambiance jazzy avec des mélodies de piano, et les décors fins et plus
ou moins variés (certains lieux sont revisités) vous emmenant dans des villes à
l'architecture gothique (on pense notamment aux fameux escaliers de la ville de
Vigrid clairement inspirés de ceux du Parc Güell de Barcelone).

Les cinématiques sont nombreuses et
permettent de faire évoluer le scénario, ainsi que les personnages qui se
révèlent au final très travaillés; Bayonetta a la langue assassine, le
caractère bien trempé, l'accent anglais prononcé et séduisant, mais elle
affiche aussi certains doutes au fur et à mesure de sa progression qui
contribuent à faire d'elle un personnage féminin de jeu vidéo inoubliable. Ces
séquences sont parsemées de références, de chorégraphies et d'humour. Pendant
l'introduction notamment, le nom des développeurs est affiché sur des pierres
tombales, et l'on peut apercevoir sur celle de Kamiya l'ombre projetée d'un
homme en train d'uriner dessus. Encore une preuve du mauvais goût apparent
omniprésent dans le jeu, mais qui peut relever du culot et du génie dès lors
qu'il est pris (au moins) au second degré. Vous aurez également l'occasion de
participer à des phases de courses et de shoot'em up, sur une moto ou aux
commandes d'un vaisseau, dans des séquences faisant référence à Space Harrier
notamment, et quelque peu déroutantes, pour le pire le plus souvent
malheureusement, tant elles paraissent un peu longuettes, confuses et bourrins.
Les références sont tellement nombreuses que Kamiya lui-même a confié ne pas se
souvenir de la liste complète.

Seulement perturbée par des QTE exigeants
et des temps de chargement pénibles, Bayonetta constitue une référence
indéniable en termes de gameplay, de richesse et de game design. Tout est ici
fait pour le plaisir du joueur, de l'humour à l'érotisme en passant par les
affrontements dantesques et techniques, les références à la culture
vidéoludique ou encore le système de combat d'une profondeur hallucinante.
Kamiya, avec ce nouveau jeu d'action plein de personnalité, perpétue son œuvre
riche et inspirée. Certains sceptiques crieront peut-être au mauvais goût et à
l'outrance; nous pencherons plutôt pour la richesse, la générosité, l'hommage
et le talent.